Dans les couloirs d’un hôpital ou au sein d’un service de soins, les violences sexistes et sexuelles (VSS) ne sont pas toujours bruyantes. Elles peuvent être sourdes, banalisées, dissimulées derrière un rire gêné ou un silence lourd. Un regard, une remarque, un geste. Et, souvent, un malaise qui s’installe, une souffrance qui s’enkyste. Face à cela, on attend des directions qu’elles agissent, des référent·es qu’ils accompagnent, des managers qu’ils interviennent. Mais trop rarement, on parle du rôle central que peuvent jouer les collègues — celles et ceux qui partagent le quotidien de travail, qui sont présents, qui voient, qui entendent, parfois sans savoir comment réagir.
Être témoin ou confident d’une situation de VSS n’est jamais anodin. Et ce n’est jamais sans responsabilité. Dans un secteur où la parole est difficile, la hiérarchie pesante et le sentiment d’isolement fréquent, le rôle du pair peut être décisif pour briser le silence et enclencher une prise en charge.
Dans la santé, un terrain propice aux violences sexistes et sexuelles banalisées
Les enquêtes récentes révèlent une réalité alarmante : au moins une professionnelle de santé sur deux a été victime de VSS au cours de sa carrière. Le cadre hospitalier concentre des facteurs de risque connus : promiscuité physique, charge émotionnelle, rapports de pouvoir hiérarchiques, horaires décalés, sous-effectif chronique. Dans ce contexte, certains comportements sexistes ou déplacés peuvent sembler « normaux », « culturels », ou simplement « inévitables ».
C’est justement ce climat de banalisation qui rend les violences si insidieuses. Et ce sont les collègues, présents à chaque instant, qui sont souvent les mieux placés pour repérer un changement d’attitude, un mal-être, un geste déplacé qui échappe à la direction.
Prévenir : faire partie d’un collectif protecteur contre les violences sexistes et sexuelles
On imagine souvent la prévention comme l’affaire des référent·es, des RH ou des formateurs. Mais elle commence par la vigilance partagée du quotidien. Un collègue peut :
- Refuser de rire à une blague sexiste.
- Recadrer un comportement déplacé, même « entre amis ».
- Soutenir la parole d’un·e autre quand elle est minimisée.
- Être attentif aux dynamiques de groupe, aux exclusions, aux silences.
Cette posture n’exige pas de devenir « moralisateur ». Elle suppose simplement de cultiver une culture professionnelle du respect mutuel. Le collectif peut — et doit — devenir un espace protecteur, dans lequel les comportements déplacés ne trouvent pas de terrain fertile.
Repérer : les signaux faibles de VSS sont souvent visibles.
Un collègue n’a pas besoin de preuves pour s’inquiéter. Il a besoin d’attention. Un changement d’attitude soudain, des pleurs en salle de pause, une tension palpable dans une relation professionnelle, des absences à répétition… Ces signaux, s’ils ne constituent pas à eux seuls une alerte formelle, peuvent indiquer une souffrance ou une situation problématique.
Dans certains cas, un·e collègue peut se confier. Et souvent, cette première confidence est décisive. Elle est une demande d’écoute, mais aussi un test : vais-je être cru·e ? Vais-je être jugé·e ? Vais-je être trahi·e ?
Là encore, la qualité de l’écoute est primordiale. Il ne s’agit ni d’enquêter, ni de douter, ni de conseiller trop vite. Il s’agit d’être présent, bienveillant, et de ne pas laisser la personne seule face à sa souffrance.
Soutenir en cas de violences sexistes et sexuelles : un geste, une présence, un relais en tant que collègue
Être un bon collègue, c’est parfois poser une question simple : « Tu veux que je t’accompagne ? »
Face à une situation de VSS, la personne concernée peut hésiter à parler, à alerter, à porter plainte. Elle peut se sentir coupable, honteuse, isolée. Le soutien d’un pair peut tout changer.
Cela peut passer par :
- proposer un accompagnement auprès du référent·e VSS, de la médecine du travail ou des RH ;
rappeler les dispositifs existants (signalement, cellule d’écoute, associations) ; - se proposer comme témoin, si l’on a observé un fait ou entendu une parole problématique.
Dans certains cas, la victime ne souhaite pas encore signaler. C’est son droit. Le rôle du collègue est alors de respecter ce rythme, tout en restant présent, en s’assurant que la personne ne reste pas seule, et en la sensibilisant à ses droits.
Signaler des VSS : un devoir quand les faits sont graves
En cas de faits graves (agression sexuelle, chantage, menaces), ou si la personne visée est en danger, le signalement devient une obligation morale, voire légale. Le Code du travail protège les salarié·es qui agissent de bonne foi en signalant une situation préoccupante.
Il est possible de :
- faire un signalement anonyme via les outils internes de l’établissement ;
- alerter un·e référent·e VSS ou Égalité ;
- en parler à un supérieur de confiance, en demandant la confidentialité.
Contrairement à une idée reçue, on ne « dénonce » pas : on protège. La loi prévoit des mécanismes de protection pour les lanceurs d’alerte. Et dans le secteur de la santé, où les dynamiques hiérarchiques sont souvent verrouillées, il est crucial que les collègues osent sortir de la passivité.
Et si je suis mal à l’aise ? Le doute n’interdit pas l’action face aux VSS
Un collègue peut se sentir dépassé, ne pas savoir quoi dire, avoir peur de mal faire. C’est normal. Mais le silence est rarement neutre. Ne rien dire, ne rien faire, c’est souvent laisser perdurer la situation. Il est possible de chercher conseil auprès du référent·e VSS/égalité, de la médecine du travail, d’un syndicat ou d’une association spécialisée.
Ce soutien est également valable pour les témoins. Être exposé à une situation de VSS peut aussi provoquer du stress, de la culpabilité, de la colère. Se faire accompagner, c’est aussi prendre soin de soi dans ce processus.
Construire un climat de travail fondé sur la solidarité à l’hôpital
Dans bien des cas, les victimes de violences sexistes ou sexuelles ont expliqué qu’elles n’avaient pas osé parler, faute de se sentir soutenues. À l’inverse, lorsqu’elles ont été crues, accompagnées, valorisées dans leur démarche, la prise en charge a été plus rapide, la réparation plus possible.
Un collègue n’a pas à tout porter. Mais il peut faire une différence immense.
Le climat d’équipe est un facteur de risque… ou de protection. Il peut nourrir l’omerta ou permettre la parole. Il peut renforcer l’impunité ou activer des solidarités. Il est donc vital d’inclure tous les professionnel·les — pas seulement les encadrants — dans les politiques de sensibilisation, de formation et de lutte contre les VSS.
Changer les choses par rapport aux VSS, commence parfois par un regard
Les violences sexistes et sexuelles dans les établissements de santé ne sont pas l’affaire des autres. Elles concernent toute la chaîne humaine du soin : des directions aux patient·es, des managers aux internes, des référent·es aux collègues. Chaque professionnel·le a un pouvoir d’action. Chaque regard, chaque mot, chaque geste compte.
Ne pas rester spectateur, c’est être solidaire. Et dans des milieux où l’isolement est fréquent, cette solidarité peut faire toute la différence.
Ensemble, construisons un environnement inclusif où chacun peut travailler sereinement sans crainte ni discrimination.
VSS et rôle des collègues dans la santé
Oui. Même une remarque apparemment « anodine » peut contribuer à un climat toxique. Il est possible de recadrer calmement, de montrer son désaccord ou d’en parler ensuite à la personne concernée.
Dans les cas graves (violence physique, menace, harcèlement avéré), oui. Votre signalement peut être anonyme et ne déclenchera pas nécessairement une procédure immédiate. Mais il permet de faire exister le problème dans l’institution.
Si vous agissez de bonne foi, la loi vous protège. Le doute ne doit pas empêcher l’action, surtout s’il s’agit d’une situation de souffrance ou de violence potentielle.
Les établissements doivent disposer de référents VSS ou égalité, et d’une procédure claire de signalement. Vous pouvez aussi passer par la médecine du travail, un syndicat ou une association spécialisée.
Non. Si des faits sont encore susceptibles d’avoir des conséquences, ou si la personne concernée n’a jamais été accompagnée, vous pouvez en parler à un référent ou à un cadre de confiance.
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